Le 6 août 1945, le monde basculait dans l’ère nucléaire. Ce jour-là, un bombardier américain B-29, baptisé Enola Gay, larguait sur la ville japonaise d’Hiroshima la première bombe atomique de l’histoire, provoquant la mort instantanée de plus de 70 000 personnes et détruisant la cité en quelques secondes. Trois jours plus tard, Nagasaki subissait le même sort. Mais derrière cet épisode tragique se cache une page méconnue de l’histoire africaine : celle du Congo belge.
L’un des éléments essentiels à la fabrication de la bombe, l’uranium, provenait presque entièrement d’une seule source : la mine de Shinkolobwe, située dans la province du Katanga, dans l’actuelle République démocratique du Congo. Cette mine, exploitée par l’Union minière du Haut-Katanga, était réputée pour produire le minerai le plus riche au monde, avec une concentration d’uranium dépassant de loin celle trouvée ailleurs sur la planète.
Dès 1940, alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage, les États-Unis et le Royaume-Uni s’intéressèrent de près à cette ressource stratégique. C’est ainsi que, dans le plus grand secret, une partie considérable du stock d’uranium de Shinkolobwe fut acheminée vers les États-Unis par l’intermédiaire d’Édouard Empain et de l’industriel belge Edgar Sengier, directeur de l’Union minière. Ce dernier, conscient du potentiel de ce minerai, avait fait entreposer à New York plusieurs centaines de tonnes d’uranium bien avant l’entrée en guerre de son pays.
Ces livraisons furent cruciales pour le « projet Manhattan », le vaste programme scientifique et militaire américain chargé de concevoir la bombe atomique. Sans l’uranium du Congo belge, de nombreux historiens estiment que la mise au point de la bombe aurait été retardée, voire compromise. Les scientifiques du projet, parmi lesquels Robert Oppenheimer et Enrico Fermi, utilisèrent ce minerai pour fabriquer le cœur fissile de la bombe larguée sur Hiroshima.
Après la guerre, la mine de Shinkolobwe demeura au cœur des convoitises internationales, notamment pendant la guerre froide. Les États-Unis y puisèrent encore de l’uranium pour alimenter leur arsenal nucléaire, tandis que la population locale, peu informée des risques liés à l’extraction, fut exposée à des conditions de travail dangereuses et à une contamination durable.
Aujourd’hui, bien que la mine soit officiellement fermée depuis les années 1960, Shinkolobwe reste un symbole de la manière dont l’Afrique a contribué, souvent à son insu, à l’histoire nucléaire mondiale. Une contribution qui interroge encore la mémoire coloniale et les enjeux géopolitiques liés aux ressources naturelles du continent.
