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Crise budgétaire au Sénégal : l’État mobilise les citoyens pour relancer l’économie

Face à une dette publique plus lourde que prévu, le Sénégal lance une levée de fonds auprès de ses citoyens pour financer les projets du nouveau président Diomaye Faye. Cette initiative, qui mise sur le patriotisme économique, marque un tournant dans la gestion des finances publiques et la recherche d'alternatives aux emprunts internationaux.

Face à une dette colossale héritée de l’ancien pouvoir, le nouveau régime sénégalais sollicite directement les particuliers pour financer ses ambitions économiques.

Au Sénégal, la situation financière du pays a brutalement changé de visage. Après l’audit mené par la Cour des comptes, une dette insoupçonnée de près de 7 milliards de dollars – non déclarée par l’ex-président Macky Sall – a été mise au jour. Cette révélation a plongé l’économie dans une zone de turbulences, avec une dette publique désormais équivalente à plus de 100 % du PIB, bien au-delà des estimations initiales. Pour éviter une crise de liquidité et assurer la mise en œuvre de son vaste programme économique, le nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, a choisi une stratégie inédite, faire appel directement à la population.

Depuis fin mars, le Trésor public sénégalais a lancé une levée de fonds sur le marché financier régional de l’UEMOA, à hauteur de 150 milliards de FCFA. Une initiative à travers laquelle l’État invite les citoyens à investir dans les obligations publiques, avec un message fort relayé par les institutions bancaires : « Saisissez une opportunité d’investissement sécurisé avec l’État ». Une campagne qui a trouvé un certain écho à Dakar, notamment auprès de ceux qui souhaitent exprimer leur patriotisme en soutenant les finances publiques.

« C’est une occasion d’aider notre pays à aller de l’avant. J’ai confiance en cette nouvelle équipe. Si chacun met un peu du sien, on peut faire bouger les lignes », confie Abdourahmane Sow, employé dans un centre d’appels.

Un appel au patriotisme financier

Le dispositif mis en place propose des taux d’intérêt oscillant entre 6,40 % et 6,95 %, avec des bons accessibles à partir de 10 000 FCFA. Pour de nombreux Dakarois, cette opportunité est perçue à la fois comme un investissement et un geste de solidarité nationale. Cependant, certains citoyens restent sceptiques quant à la rentabilité réelle de cette démarche pour les petits épargnants.

« Si on n’a pas un capital conséquent, le retour sur investissement est minime. Ce n’est pas un produit pour tout le monde », estime Yela Ba, employé dans le secteur de la logistique, qui préfère rester à l’écart de cette opération.

Malgré ces réserves, l’appel semble avoir porté ses fruits. Une semaine avant la clôture de l’opération, les fonds collectés dépassaient les 400 milliards de FCFA, dépassant largement l’objectif initial. Une réussite qui témoigne d’une certaine confiance des citoyens envers le nouveau pouvoir, mais aussi d’une volonté collective de sortir d’un cycle de dépendance extérieure.

Entre endettement et réforme structurelle

La dégradation de la note souveraine du Sénégal par Moody’s, combinée à la suspension du programme d’assistance avec le FMI, a contraint l’exécutif à revoir sa stratégie de financement. Dans un contexte de méfiance accrue sur les marchés internationaux, se tourner vers les marchés régionaux apparaît comme une option moins risquée et plus accessible.

« Lever des fonds sur les marchés locaux permet de contourner les exigences souvent contraignantes des bailleurs internationaux et de mobiliser des ressources à moindre coût », explique Abdou Khadre Dieng, professeur d’économie à l’Université Cheikh Anta Diop.

Mais pour des observateurs comme Elimane Haby Kane, du think tank Legs Africa, le salut ne viendra pas uniquement de nouveaux emprunts. Selon lui, l’État gagnerait aussi à repenser ses priorités en matière de dépenses publiques : « Il est temps de rationaliser les investissements, de supprimer ce qui n’est ni stratégique ni rentable, et de miser sur des projets à impact durable. »

Un programme ambitieux sur fond de crise

Le nouveau gouvernement fait donc face à un double défi : restaurer la confiance économique tout en lançant la première phase de son programme présidentiel, évalué à plus de 18 000 milliards de FCFA pour la période 2025-2029. Une ambition gigantesque dans un contexte où chaque franc collecté compte.

Si l’opération de levée de fonds est un succès financier, elle symbolise surtout un tournant dans la gouvernance économique du Sénégal. Le pays mise désormais sur l’engagement de ses citoyens pour bâtir une économie plus résiliente, tout en s’émancipant progressivement de la dépendance aux institutions financières internationales.

Un pari audacieux, à la hauteur des attentes placées dans la nouvelle équipe dirigeante.

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